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24 Septembre 2014
Mercredi 24 septembre 2014
Source de l'article :
http://www.reveilcommuniste.fr/article-30773696.html
Note de lecture de Losurdo : Staline, histoire et critique d'une légende noire
Note de lecture par Gilles Questiaux: Stalin, storia e critica di une legenda nera
(Staline, histoire et critique d'une légende noire) publié à Milan en 2008 et traduction française à Bruxelles en 2011 (éditions Aden) Présentation de la traduction française ici
Domenico Losurdo est un philosophe communiste italien, né en 1941, spécialiste réputé de Hegel et de Gramsci, professeur d'histoire de la philosophie à l'université d'Urbino, auteur en 1999 de Fuir l'Histoire, où il critique « l'autophobie » des communistes, qui est à la fois une sorte d'aliénation psychologique qui a fait des ravages depuis le chute du mur, et une composante de l'idéologie des groupes dirigeants postcommunistes en France et en Italie.
https://www.google.fr/webhp?tab=nw#q=Domenico%20Losurdo
Comme hégélien, il apporte deux atouts à la connaissance historique marxiste : la réflexion rationnelle sur le rôle des grands hommes, et la critique rationnelle de la forme originaire du gauchisme moral, de la « belle âme » qui veut imposer « la loi du cœur », et l'intelligence du retournement autoritaire inévitable de la belle âme déçue. Pour Losurdo, le ferment de l'autoritarisme dans le mouvement communiste est à rechercher du coté libertaire de l'utopie communiste plus que dans la volonté de construire un État socialiste.
Il s'agit dans Staline... , d'une histoire de l'image de Staline et non d'une biographie ni d'une histoire politique du système auquel ce nom est couramment associé. Mais remettre en cause les clichés de l'antistalinisme tels qu'ils sont reproduits sans critique depuis 1956 nécessite aussi de revenir sur le fond de la question, et de procéder à une l'évaluation de l'histoire soviétique de 1922 à 1953, et même au-delà, puisque les catégories de l'antistalinisme de la Guerre froide ont été généralisée à l'étude d'autres États dirigés par des PC, et d'autres personnalités, Chine et Mao, Cuba et Fidel, Yougoslavie et Tito.
L'étude de la légende noire se mêle donc pour partie à une réhabilitation de la personnalité et de la figure d'homme d'État de Staline, qui est bien distingué du système politique qu'il dirigeait. Il commence en constatant que l'image de Staline était plutôt positive dans le monde, propagande de part et d'autre mise à part, au moment de sa mort en mars 1953. C'est la diffusion du rapport Khrouchtchev qui a précipité « le dieu aux enfers ». Ce rapport est une des principales cibles de Losurdo, qui synthétise de manière convaincante un grand nombre de travaux contemporains qui n'en laisse pratiquement rien subsister. Il s'agit d'un document de la lutte interne à la direction du PCUS dont la crédibilité est pratiquement nulle, et dont la plupart des assertions portant sur Staline sont tout simplement inventées. D'ailleurs la propagande antistalinienne s'est depuis assez longtemps dirigée dans d'autres directions pour étayer ses réquisitoires.
Pour reconsidérer la stature morale et intellectuelle du dirigeant principal de l'URSS, Losurdo a utilisé le principe du « tu quoque » (« toi aussi », phrase censée avoir été prononcée par César en reconnaissant parmi ses assassins Brutus, son fils adoptif) qui aboutit à la constatation étonnante que dans le contexte de l'époque la plupart des critiques libéraux de Staline, et particulièrement les hommes d'État de premier plan qui peuvent lui être comparés, véhiculent dans leurs propos une conception du monde bien plus machiavélique et brutale que lui, et contrairement à lui fortement teintée de racisme. Sur ce point Losurdo s'inscrit en faux contre les accusations d'antisémitisme concernant Staline personnellement, même à la fin de sa vie, durant sa maladie, et il défend résolument la thèse que l'antisémitisme, au moins au sommet de l'État soviétique, n'a joué aucun rôle dans l'affaire dite du « complot des blouses blanches ». Sur la paranoïa attribuée communément à Staline, Losurdo réussit aussi à faire passer de manière assez convaincante l'idée que la plupart des actions répressives et que la terreur d'État n'étaient pas le résultat d'un emballement délirant. Ils étaient dus à la volonté de juguler, il est vrai par des moyens extrêmes, l'action bien réelle d'ennemis du régime, parfois déterminés à utiliser le terrorisme dans la tradition des groupes révolutionnaires russes du XIXème siècle. L'attentat contre Kirov, en décembre 1934, qui est considéré en général comme le point de départ de la grande terreur, ne peut plus être présenté sérieusement comme une provocation commanditée par Staline lui-même. Il apparaît d'ailleurs que la mentalité « complotiste » est très répandue dans l'historiographie antistalinienne.
L'autre cible principale de Losurdo est l'historiographie trotskiste, à commencer par celle de Trotski lui-même, dont les témoignages et l'analyse du système sont largement à la base de la tératologie occidentale qui essaye de comprendre l'ennemi sans recourir aux catégories scientifiques de compréhension de l'histoire. Trotski avec des nuances, et voulant, comme Khrouchtchev plus tard, dissocier Staline de l'Union Soviétique et se dédouaner par la même occasion, a eu recours à des distorsions de raisonnement qui sont en fait une régression de l'analyse historique scientifique vers l'analyse psychologique. Losurdo pense aussi que la conjecture de Malaparte, selon lequel Trotski aurait tenté un coup d'État en 1927, à l'occasion du dixième anniversaire de le Révolution d'Octobre, est probablement vraie.
Le livre de Losurdo n'étant pas une histoire de l'URSS ou de ses appareils répressifs, on y trouvera peu d'éléments pour réfuter en profondeur la légende noire connexe à celle de Staline, la légende véhiculée avec une certaine habilité par le Livre Noir du Communisme où des pamphlétaires de guerre froide sont cautionnés par la présence d'articles écrits par des historiens anticommunistes professionnels, sous l'autorité d'autres historiens, plus âgés et respectés, qui à leur tour cautionnent le tout. Mais il attaque frontalement et avec encore une fois beaucoup de crédibilité le travail de l'historien anglais influent Robert Conquest, qui avant d'être universitaire était un agent des services secrets britanniques spécialisé dans la désinformation, et qui tend à imputer à Staline la famine ukrainienne de 1933, par un double procédé d'exagération de ses effets et de sa durée et par l'attribution de cette famine à une volonté génocidaire. A l'origine, il s'agit d'une construction en guise de plaidoyer pro domo des séparatistes fascistes ukrainiens, pour substituer un génocide à un autre, qui devait masquer leur rôle dans l'extermination des juifs d'Ukraine, et qui reprend des thèmes de désinformation largement diffusés par la propagande hitlérienne durant la guerre (propagande reprise par Conquest suivant le principe méthodologique bien connu de l'historiographie libérale : ne croyez pas les nazis, sauf quand ils parlent des communistes !)
Losurdo s'attaque aussi à la théorie de la gémellité des monstres, postulant l'égalité Hitler-Staline, et particulièrement aux thèses d'Arendt, écornant au passage sa théorie du totalitarisme (en remarquant qu'elle fit partie de thuriféraires de Staline au moment de la Libération). A l'arrivée, il ne reste qu'un seul point commun entre Hitler et Staline : ils ont été des dictateurs contemporains. Toute idée qu'il ait pu exister une sympathie personnelle ou une complicité entre les deux ne résiste pas à l'analyse des témoignages historiques, et s'avère un mythe de plus de la Guerre Froide.
En conséquence, nombre de clichés sur Staline me semblent définitivement ruinés, et Losurdo y parvient facilement en regroupant les conclusions ou les découvertes des historiens récents, postérieurs à l'ouverture des archives soviétiques. Il est donc acquis que :
Staline n'était ni médiocre, ni stupide, ni paranoïaque.
Staline ne s'est pas effondré au moment de l'invasion hitlérienne, et n'a jamais cru en la bonne foi d'Hitler. Son commandement a joué un rôle militaire décisif, et les généraux soviétiques les plus importants l'ont confirmé de manière indépendante, dont Joukov qui s'était souvent opposé à lui.
Staline a réprimé toute opposition en URSS. Mais cela signifie, contrairement à la légende du chef paranoïaque qu'il y avait une opposition.
Staline était totalement exempt de racisme ou d'antisémitisme et ne peut pas être accusé de génocide, ni envers les Ukrainiens, ni aucun autre peuple.
Losurdo considère au passage comme acquis par l'évolution de l'état de la question historique que les bilans avancés par Khrouchtchev comme par Courtois sont exagérés environ dix fois. Ce qui signifie que la répression politique en URSS sous toutes ses formes a causé la mort d'environ 2 millions de personnes entre 1922 (fin de la guerre civile) et 1953, et un nombre très faible de victimes depuis 1953. C'est beaucoup moins que les chiffres hyperboliques qui ont circulés sous l'influence de Conquest et de Soljenitsyne. C'est encore beaucoup, mais ce n'est pas la même chose.
Si le pacte germano-soviétique et la collectivisation des terres restent des ombres sur l'histoire soviétique, ils ne peuvent plus être rapportées à la malignité de Staline en personne, ni même d'un groupe dirigeant plus vaste, ils doivent être compris comme des choix exigés par la survie de l'État issu de la Révolution d'Octobre dans des situations où toutes les autres solutions étaient devenues impossibles. Cela semble indiscutable pour le pacte, moins certain pour la collectivisation, car la Révolution chinoise fournit un contre exemple, elle a survécu dans un environnement hostile en se gardant bien de développer son industrie et sa puissance militaire au dépens des paysans.
Concernant la collectivisation, le choix gauchiste (trotskiste !) de la collectivisation forcée et de l'élimination des Koulaks en tant que classe, ne fut pas celui de Boukharine, l'expert économique du pouvoir bolchevik, qui savait qu'elle provoquerait « une Saint Barthélémy » dans les campagnes, d'où sa rupture avec Staline alors qu'il dirigeait l'URSS quasiment sur le même rang que lui dans les années de la NEP.
La brutalité de la répression n'est pas niée mais elle est contextualisée:
Par rapport aux effets de « brutalisation » (en suivant dans l'utilisation de ce concept Nicolas Werth, pourtant coauteur du « Livre Noir »), cette évolution généralisée des mentalités vers le pire provoquée dans le monde par la Grande Guerre; par rapport au moment de l'histoire mondiale (la « seconde guerre de trente ans »); par rapport à la longue durée de l'histoire russe (le « deuxième temps des troubles »). Et par rapport à la situation mondiale d'oppression coloniale et raciste maintenue par tous les libéraux contemporains dans leurs empires coloniaux ou sur les peuples d'origine coloniale.
Et aussi par rapport à l'état de siège permanent où la Russie a du vivre pendant 75 ans, en butte à la détermination contre-révolutionnaire sans faille de puissants ennemis : Allemagne, Grande Bretagne, France, États-Unis avant et après la seconde guerre mondiale, à laquelle s'est ajoutée l'influence de toutes les églises instituées et de tous les grands groupes de média. L'alliance entre URSS et États-Unis de 1941/45 parait dans ce contexte purement conjoncturelle.
Certains des aspects les plus terribles de l'État soviétique s'expliquent donc en dernière analyse d'une part par l'hostilité permanente du monde entier contre un pays pauvre et une grande nation révolutionnaire, et d'autre part, par l'héritage de despotisme de l'ancienne Russie, qui n'avait pas connu de période démocratique bourgeoise.
Losurdo souligne aussi le rôle d'une dialectique immanente aux mouvements révolutionnaires qui lierait indissolublement l'exigence de la liberté absolue immédiate (et le rêve de la société communiste) à l'imposition de la Terreur, suivant le principe de la dialectique de la « loi du cœur » exposées dans la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel.
Losurdo invalide, en bon hégélien, toute critique de Staline et de sa pratique historique basée sur l'opposition de l'idéal au réel , et donc sur l'idée qu'il existerait un bon idéal communiste opposable à un monstre singulier et en définitive inexplicable qui s'appellerait Staline. Il s'agirait alors pour le mouvement communiste de renoncer à la ligne hypocrite de repli tactique où il s'est piteusement abrité en Occident après le rapport Khrouchtchev, et qu'Althusser a attaqué toute sa vie sous le nom d'humanisme, Garaudy, Sève étant de bons représentants du khrouchtchevisme humaniste en France. Et dans un tout autre sens du terme du stalinisme d'appareil aussi.
Le stalinisme est aussi périodisé : il semble que Losurdo considère que le régime est devenu autocratique en 1937, dans le contexte de la préparation de la guerre. Le régime carcéral du Goulag s'est aussi considérablement aggravé à ce moment là. Il semble avoir été relativement sous contrôle légal avant cette date. Certains faits horribles, comme le cannibalisme dans l'île arctique de Nizan, paraissent davantage le résultat d'incompétence bureaucratique dénoncée par les autorités elles mêmes, que comme le reflet normal du fonctionnement d'un système de répression exterminateur et cohérent. Et si l'URSS doit être comprise en définitive comme une formation sociale qui n'a jamais réussi à sortir de l'état d'exception, les efforts pour ce faire ont été réitérés, et le principal dirigeant bolchevik à avoir essayé ce passage à la normalité est justement Staline.
Cela dit, cette réserve pour finir : il restera toujours dans l'épopée soviétique un résidu d'excès injustifiable, et certains arguments qui consistent à produire des citations peu glorieuses de Churchill ou de Roosevelt pour les comparer à des citations de Staline sur les mêmes sujets atteignent vite leurs limites. On peut contextualiser, et il n'est pas sans signification de savoir que le Cambodge a subi un quasi génocide aérien de la part de l'USAF, de la CIA et ses supplétifs avant le génocide Khmer rouge, il n'est pas inutile de comparer l'extermination des officiers polonais internés à Katyn en URSS en 1940 avec celle de la gauche par les Américains en Corée du Sud en 1950, mais il n'empêche que de tels faits n'auraient pas dû se produire dans un pays socialiste. Il n'est pas inutile de rouvrir les dossiers Toukhatchevski ou Trotski comme ayant véritablement tentés des coups d'État ou entretenus des relations avec les ennemis étrangers de Staline. Mais ce n'est pas une justification au traitement arbitraire et cruel qu'ils ont subi.
Dernier point : Losurdo apparaît par certain coté comme un adversaire de l'utopie et de sa poésie, comme un défenseur du socialisme réel, sans guillemets. Le marxisme de Marx pour lui n'est pas un très bon guide pour comprendre la politique réelle et prosaïque, du point de vue de la gestion du réel qui résiste au rêve révolutionnaire, à l'exception sans doute du marxisme de Gramsci... et de Staline. Nous ne comprendrions bien ni les grands hommes, ni la normalité quotidienne de la vie des hommes simples, nos leaders charismatiques sont pourrait-on dire au point aveugle de notre pensée, et nous ne séparerions pas bien l'état d'exception de l'État de droit. Mais le dilemme est là, et n'est pas résolu par Losurdo, car quitte à rester prosaïque à quoi bon s'aventurer dans l'espace sans limites de la Révolution ?
Note critique additionnelle :
Je comprends ainsi l'entreprise de D. Losurdo : la figure historique de Staline a été investie par une mythologie et considérablement déformée. La mythologie stalinienne d'origine, construite par la propagande officielle du parti communiste soviétique et relayée dans le monde par les partis issus de la Troisième Internationale a été remplacée par une mythologie antistalinienne de différentes origines (partis communistes ayant révisé leurs discours après 1956, trotskystes et gauchistes divers, officines de propagande de la guerre froide et historiens, journalistes, transfuges et renégats à leur service, propagande hitlérienne et ses héritiers d'extrême droite, etc.) qui correspond à une conception tératologique de l'histoire comme collection de monstres. Losurdo est donc préoccupé de vérité historique. Mais aussi comme communiste, il s'agit pour lui de contre-attaquer sur un terrain où l'adversaire semble très fort : car le mythe monstrueux sert en définitive à discréditer le mouvement communiste, ouvrier et révolutionnaire dans son ensemble. La reconsidération de la Révolution française au cours du XIXème siècle s'est faite aussi en cassant l'image sanguinaire et monstrueuse qui collait aux protagonistes le plus radicaux de la Montagne, Danton, Robespierre, Marat, Hébert, etc. A y regarder de près, certains traits de personnalité de ces héros révolutionnaires ne sont guère sympathiques, mais nul historien sérieux ne s'égarerait dans un jugement moralisant sur ces acteurs historiques pour essayer de comprendre la Révolution, même en partant d'une prise de parti carrément hostile. Ce n'est pas le cas pour la Révolution russe, et surtout pour l'État qu'elle a créé.
Et il nous reste à comprendre en tant que communistes pourquoi notre histoire a connu ces dérives brutales. Nous sommes mieux placés pour ça que ceux qui ont toujours évité de se mouiller dans la pratique du pouvoir d'État. Et Losurdo, en éliminant les scories de la mythologie contre-révolutionnaire nous aide à comprendre le réel et à nous comprendre nous mêmes. Ces scories représentent 90% du dossier (et du bilan). Reste un résidu de violence irrationnel qu'il faut assumer rationnellement. Nous ne serons définitivement plus « staliniens » le jour où nous auront assumé le fait que Staline n'était pas le pire mais au contraire l'un des meilleurs praticiens de la théorie marxiste. Et qu'il nous faut donc inventer maintenant suite à cette expérience une nouvelle forme de démocratie dans la lutte des classes qui n'existe encore qu'entre les lignes, chez Lénine, et certainement pas dans la régression vers la psychologie de l'analyse trotskyste. Et comme Althusser l'avait compris, Freud est aussi notre allié dans cette recherche.
Les lois de la connaissance historique développées dans le matérialisme historique, qui restent valides, rendent plus que probable, si le capitalisme ne détruit pas l'humanité auparavant, le passage au socialisme, et ce passage devra bien commencer quelque part dans le monde, et donc le problème crucial de la coexistence interne et internationale avec le capitalisme se posera dans les mêmes termes qu'il s'est posé en URSS (et se pose déjà, en Chine, à Cuba). Notre tâche à nous communistes au XXIème siècle est donc d'inventer le socialisme démocratique, vraiment socialiste et vraiment démocratique, qui sera la forme de stabilisation de la société post-capitaliste que l'URSS n'a pu atteindre. Ce socialisme démocratique serait comme toute démocratie réellement existante doté de médias indépendants du gouvernement, de syndicats et d'organes représentatifs qui ne seraient plus l'expression des fractions de la bourgeoisie mais des fractions autonomes du prolétariat.
La gauche communiste anarchisante a pu involontairement renforcer les tendances autoritaires du sommet en dirigeant surtout sa critique vers les dirigeants intermédiaires susceptible d'opposition efficace et vers les « bureaucrates » (qui forment, soit dit en passant, le groupe qui a proportionnellement sans doute le plus souffert de la répression stalinienne), il n'empêche que la plupart des critiques de l'autoritarisme de l'appareil d'État soviétique provenant de ce coté là étaient justifiées. Lénine et Trotski se sont sans doute trompés en subordonnant les syndicats au parti, et en empêchant ainsi l'existence de contre-pouvoirs et la formation d'une légalité socialiste indispensable pour gérer les conflits réels.
Le socialisme doit être construit comme un mode de production et d'organisation de la société durable (peut être séculaire) et une société complexe et contradictoire et non comme une courte transition vers le communisme. Mais il ne faut lâcher l'utopie à aucun prix, et c'est aussi son abandon qui est au cœur des contradictions réelles qui ont ruiné le socialisme réel, pas seulement en URSS mais aussi sous sa forme platement redistributive « d'État providence » dont Mélenchon est un représentant attardé. Sans l'utopie pourrait-on dire que « la mort n'éblouit pas les yeux des partisans » ? A ce titre là malgré leur méconnaissance ridicule du socialisme et des partis communistes, et du réel pratique en général, les situationnistes d'avant 1968, implacables avec les illusions gauchistes, tenaient fermement l'autre bout de la chaine, et ce sont leurs idées (non les nôtres) qui ébranlèrent le monde capitaliste développé, dans sa métropole, entre 1950 et 1980. Et aussi les groupes pratiquant la lutte armée, qui connurent à leur échelle une dérive violente et autodestructrice où de nombreux jeunes camarades des années 1970 restèrent sur le carreau.
Cette démocratie socialiste à inventer, et en cours d'invention timide dans les pays socialistes actuels, ne peut pas être le résultat d'une transition à rebours comme celle qui à eu lieu en URSS de 1985 à 1993, ni se développer dans la continuité de la pseudo-démocratie de marché actuelle des métropoles. Il y a donc une part d'inconnu et de risque historique à prendre.
GQ 28 avril 2009
PS du 3 février 2011 : l'incapacité de beaucoup de camarades à envisager un retour critique sur les mythes de l'antistalinisme maison (Rapport Khrouchtchev, et influences trotskystes) tient au fait qu'ils croient en hurlant avec les loups se refaire une virginité qui les dispensera d'avoir à assumer la mauvaise réputation qui colle aux sales bolchos et aux vieux stals. Sans voir que cette mauvaise réputation est un gage d'authenticité. Mais on voit bien aujourd'hui comment la critique de Staline n'a pour but que de dévider la pelote et d'entrainer avec elle celle de Lénine, Octobre, et la Révolution elle même en commençant par celle de 1789. Et on doit stopper la débandade à la racine car si les anticommunistes ont raison sur un point, c'est quand ils disent que Staline et son système sont solidaires de toute l'histoire des Révolutions depuis Cromwell au moins.
PPS du 20 septembre 2014 : Je ne suis plus à 100% d'accord avec moi-même, en particulier sur la question des contre-pouvoir qui me paraissent maintenant relever d'une fiction idélogique bourgeoise. Le passage d'un pouvoir bourgeois à un pouvoir prolétarien exige un important travail d'auto-éducation du prolétariat pendant lequel il ne peut sans doute pas être aussi "tolérant" et "cultivé" que les représentants du monde d'avant la Révolution, et implique une modification fondamentale des valeurs et des formes du désir qu'elles déterminent après lesquelle disparaitront celles de l'individualisme aliéné et de l'ostentation de classe; et elle implique aussi de dépasser le stade de l'antagonisme de classe, mais pour le dépasser il faut le traverser.
Quant à Althusser, je ne le fréquente pas car ses analyses manquent de clarté à mon goût (ou je ne suis pas assez intelligent pour les comprendre). Mais son approche du freudisme est juste si j'ai bien compris, comme tentative de penser le point aveugle de la théorie, alors que la tentative de synthèse directe freudo-marxiste de Wilheim Reich a débouché sur un discours pseudoscientifique de secte.
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